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Chapitre 37


     

     A 17 heures 45, Charles et Ania étaient en place. A ce moment-là de la saison, il faisait déjà nuit. Ayant garé la voiture de location en lisière de forêt, ils guettaient le retour de Kenetz, espérant bien ne pas avoir à patienter trop longtemps. Ce ne fut pas le cas. A 18 heures 25, la BMW s’engagea dans la pente menant au chalet. Comme à l’accoutumée, le SS gara le coupé rouge sous l’auvent et gagna l’intérieur de son habitation. Dix minutes plus tard, il fut fortement intrigué par des coups frappés à la porte. Qui cela pouvait-il bien être ? Il n’attendait personne. Par la fenêtre donnant sur l’entrée, il aperçut Charles qui lui faisait signe, un sourire accroché à la face. Que pouvait bien vouloir cet abruti devant venir retirer ses planches à la scierie le lendemain matin seulement ? Il n’allait pas tarder à le savoir et, sans méfiance aucune, il ouvrit la porte. Charles se précipita et, de la main gauche, saisit le cou de Kenetz, alors que de l’autre il enfonçait puissamment le silencieux de son arme dans son estomac. Dans son excellent allemand, il prévint alors :
   - Un seul geste et tu es mort !
Totalement surpris, l’ancien SS ne bougea pas et demeura silencieux. En moins d’une seconde, Charles examina les lieux. Ils se trouvaient dans la cuisine. Désignant l’une des quatre chaises entourant la table en bois, il poussa Kenetz.
   - Assieds-toi là ! ordonna-t-il.
Le SS obtempéra. Toujours abasourdi, il vit alors Ania pénétrer en trombe dans le chalet, munie d’un sac de voyage qu'elle déposa à ses pieds. Alors que Charles tenait toujours Kenetz en joue, la jeune femme se baissa et, du bagage ouvert, extirpa un gros chiffon blanc ainsi qu'une petite bouteille d'éther éthylique. Rapidement, elle imbiba le chiffon d'alcool et passa derrière l’homme. Accentuant fortement la pression du canon de son arme contre la poitrine du SS, Charles lui lança :
   - Ne bouge pas !
Toujours derrière le SS, et écartant les jambes de façon à obtenir une bonne assise, Ania se baissa légèrement et passa son bras autour du cou de l’homme. De toutes ses forces, elle appliqua alors le chiffon contre son visage. Tentant brusquement de se débattre, le menuisier fut stoppé net par le bout du canon du SIG qui, en une fraction de seconde, était passé de sa poitrine sur sa tempe droite. Très vite alors, l'anesthésiant ayant parfaitement rempli sa fonction, il perdit connaissance. Toute l’action n’avait pas duré plus de deux minutes. Le SS devenu inoffensif, Ania le retint pour empêcher qu’il ne tombe. Charles rangea alors son pistolet dans le sac. Son amie était tétanisée. L’assassin de ses parents était là, inerte, à sa merci. Et elle n’en revenait pas. En l’espace de quelques secondes, vingt  années défilèrent dans sa mémoire. Dont les dix dernières passées à rêver de ce moment-là.
   Conscient de la tension qui habitait Ania, Charles l'arracha délicatement à ses pensées. Ayant pris la précaution de clore les volets de la cuisine et du salon, ainsi que de fermer la porte d’entrée à clef, tous deux entreprirent alors de déposer le corps endormi du SS sur la table de sa cuisine. A l'aide des quatre cordes que contenait également le sac de voyage, les deux complices lièrent fermement chaque membre de Kenetz à chacun des pieds de la table. Ainsi, sur le dos et parfaitement immobilisé, il n’aurait pas loisir d’effectuer le moindre mouvement s’il venait à se réveiller plus tôt que prévu. Alors, avec précaution, Ania extirpa de son sac l’outil dont elle allait se servir pour faire payer son crime à cette ordure de nazi. Trois quarts d'heure plus tard, Ania avait terminé son ouvrage. Vingt minutes auparavant, Kenetz ayant soudain manifesté quelque signe d’éveil, Charles lui avait alors rapidement administré une nouvelle dose du produit miracle. Et l’assassin, ne faisant plus qu’un avec la table de sa cuisine tant ses liens étaient serrés, s’en était retourné au pays infâme de ses doux songes, dans lequel il officiait en qualité de SS-Standartenführer. Qu’il en profite, pensa Ania, comme si elle avait deviné son rêve, parce qu’à son réveil, ce salaud allait avoir une drôle de surprise. Une de celles dont on se passerait bien et qui vous colle à la peau jusqu’à la fin de vos jours…
     

     Sur le coup de 19 heures 40, Kenetz commença à reprendre connaissance. Toujours attaché à sa table, il éprouvait un mal de crâne assez intense. Mais plus encore, ses joues le faisaient beaucoup souffrir. En face de lui, il aperçut alors le visage de ses agresseurs. Il ne broncha pas, semblant encore totalement dans le cirage. Puis, lentement, les forces et la mémoire lui revinrent. Ce fut cependant d’une ardeur peu évidente qu’il tenta de se libérer de ses liens. Ania et Charles le dévisageaient d’un air à la fois sévère et narquois.
   - Qui êtes-vous ? Que m’avez-vous fait ? bredouilla l’ancien SS.
Aucune réponse ne vint satisfaire sa curiosité. Il inspira et expira profondément et ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose. Au même moment, Ania fit deux pas sur sa droite, saisit le sac de voyage et en extirpa un petit miroir rond. Lentement, elle vint le placer en face du visage de Kenetz, pas trop près, de façon à ce qu’il bien puisse voir l’œuvre d’art que, avec cœur et talent, elle avait réalisée sur ses deux joues. L’homme ne parvint pas à dissimuler sa surprise. Les yeux exorbités, il constata ce qui pour lui se résumait à un cauchemar, à un désastre pur et simple : sur chacune de ses joues, en caractères runiques et à l’encre de Chine, Ania avait tatoué un "S" du plus bel effet. Afin d'éviter qu’il ne tente de dissimuler l'ouvrage en se laissant pousser la barbe, la jeune femme avait pris la précaution de graver les lettres juste en dessous de ses yeux. De couleur noire, hauts de quatre centimètres et larges de deux, les caractères étaient identiques et parfaitement réalisés. Les cours de tatouage qu’avait pris Ania trouvaient ici leur pleine justification et le résultat dépassait mêmes ses plus folles espérances. Ainsi que celles de Charles, lequel trouvait que son amie s’était surpassée. Pendant une bonne dizaine de secondes, le regard de Kenetz oscilla entre le miroir et ses deux agresseurs. D’une voix tremblante d’émotion, il réitéra sa question :
   - Qui êtes-vous ?
En guise de réponse, Charles leva son bras et appliqua le silencieux du SIG sur le front du SS. Une onde de frayeur passa dans le regard de ce dernier.
   - Mon amie se nomme Ania. Elle est née à Zawadka, dans le sud de la Pologne. Le 25 février 1943, toi et tes ordures de camarades SS l’avez enlevée. Elle n’avait que six ans et, devant elle, vous avez lâchement assassiné ses parents qui tentaient de résister aux barbares que vous êtes.
Kenetz, bouche bée et yeux exorbités, bredouilla deux mots incompréhensibles. Ania reprit :
   - Tu te souviens très bien de ma maman ! Tu lui as tiré une balle dans le dos. Rappelle-toi, elle était dans sa cuisine. Tu l’as abattue sans sommation, froidement, par derrière, comme un sale lâche que tu es. Ensuite, toi et les tiens avez abattu mon papa. Avec la même rage de bêtes ignobles qui vous animait. 
L’infâme SS semblait reprendre un peu de consistance. Commençant à réaliser ce qui lui arrivait, il dit :
   - Je ne sais pas de quoi vous parlez ! Je n’ai jamais été dans la SS et je n'ai jamais mis les pieds en Pologne.
   - Tu t’appelles Johann Kenetz ! cria la jeune femme. Il y a vingt ans, tu étais un Untersturmführer SS qui menait sa section dans des opérations d’enlèvement d’enfants dans la région de Bilgoraj.
   - C’est faux ! se défendit le menuisier. Je m’appelle Franz Jöltzer ! Je vous répète que je ne suis jamais allé en Pologne.

Appuyant toujours le canon de son arme sur le front du SS, Charles enchaîna :
   - Et au KL Lublin non plus, sans doute ? 
   - Où ça ? répondit Kenetz.
  - Au camp de concentration de Lublin-Majdanek, précisa Ania. Là où, en plus de milliers de Juifs, tu as assassiné une jeune infirmière qui s’appelait Marie Meyer. 

Cette fois Kenetz paraissait vraiment secoué. Il dévisagea Ania comme si elle venait de lui annoncer que Hitler était ressuscité. Puis il hocha la tête en disant :
   - Je ne comprends rien de ce que vous me dites.
Ania le regarda longuement et, calmement, lui lança alors :
   - Pour toi, ordure, le moment est venu de payer…
Charles lui passa alors le pistolet. Comme lui, elle colla l’extrémité du silencieux contre le front du SS et, lentement, commença à appuyer sur la détente. Kenetz sentit qu'il était temps pour lui de recommander son âme au diable. Inspirant alors fortement, il hurla :
 - Heil Hitler !
Un ange passa, deux svastikas tatouées sur les ailes... Pas du tout surprise par cette réplique qui n’était rien d’autre qu’un aveu, Ania appuya alors à fond sur la détente du SIG. Kenetz entendit le bruit du chien venant frapper le percuteur dans la culasse. Mais aucun coup ne partit. L’arme avait été déchargée par Charles. Le SS, une fois encore, avait la bouche grande ouverte, ne comprenant pas le moins du monde ce que voulaient ses deux agresseurs. Alors Ania réunit sa salive et se penchant sur le SS, elle lui cracha violemment au visage. 
   - Tu vois, dit-elle, je viens d'accomplir ce que mes parents n’ont pas eu le temps de faire. Et en plus, je t’offre ce petit cadeau gravé sur tes joues. Du même style que celui que tu portes sous ton bras gauche. Charles attrapa le bras de Kenetz et remonta la manche de sa chemise. Coup de bluff payant, le tatouage était bien là.
   - Un peu rikiki celui-là ! s'exclama le jeune homme. Et facile à dissimuler. Je te souhaite bien du plaisir pour tenter de te débarrasser de ces deux grosses taches bien visibles sur tes joues d’assassin… 
     

     Le SS ne disait plus rien. Même sans le geste caractéristique du bras, le cri d’allégeance à son Führer l’avait trahi. Alors, à quoi bon… La seule chose qui lui importait dès lors, était la façon dont tout cela allait se terminer. Il n’eut pas longtemps à attendre. Car tout s’enchaîna très vite. Après s’être saisi du chiffon et de l’avoir imbibé d’une nouvelle dose d'éther, Charles passa rapidement derrière Kenetz et appliqua à nouveau fermement le morceau de tissu sur son visage. Ensuite, et après lui avoir administré une gifle monumentale pour vérifier qu’il était bien endormi, le jeune homme défit les nœuds de la corde liant ses mains aux pieds de la table, mais ne toucha pas à ceux de ses chevilles. Trente secondes plus tard, les deux jeunes gens quittaient le chalet et rejoignaient en toute hâte leur voiture. Jetant le sac dans le coffre de l’Opel, ils démarrèrent en trombe et filèrent en direction de Feldkirch. Il était 20 heures 10 et, quarante-cinq minutes plus tard, alors que Charles allait récupérer sa voiture, Ania rendait l'Opel Rekord à l'agence de location. Sans plus attendre, les jeunes gens mirent alors le cap sur la Suisse et gagnèrent rapidement la ville de Saint-Gall, dans laquelle ils allaient passer la nuit…
 

 

 


Chapitre 38


     

     Assis sur la table de sa cuisine, Kenetz semblait émerger d’une cuite monumentale, avec un mal de crâne et une gueule de bois qu’il n’avait plus ressentis depuis bien des années. Pourtant, l’abus d’alcool est une chose qu’il connaissait bien. Les chevilles toujours liées aux pieds de la table, il passa lentement les doigts de ses deux mains sur ses joues. Non, il n’avait pas rêvé : le sigle de la Schutzstaffel semblait bien y avoir été tatoué. Lentement, il dénoua les derniers liens lui enserrant les chevilles puis, submergé de nausées, il se rendit dans sa salle de bains. Dans la glace, les "S" runiques paraissaient encore plus profondément gravés que ce qu’il avait pu distinguer dans le miroir de cette folle l’ayant ainsi arrangé. Dans sa pharmacie, il puisa deux cachets d'aspirine, qu'il fit passer en avalant un  grand verre d'eau. Puis, à l’aide d’un gant de toilette, il tenta précautionneusement de nettoyer les plaies qui le brûlaient beaucoup. Pendant une bonne minute, il demeura immobile, penché sur le lavabo et se regardant dans le miroir. Ah, la garce s'était appliquée, se dit-il. En pensant à elle, le souvenir de l'expédition de 1943 dans ce village polonais lui revint en mémoire. Il se revoyait parfaitement dégainer son arme et tirer sans viser sur cette femme qui avait osé lui résister. Elle avait fini comme la petite infirmière juive de Majdanek : exécutée pour s'être opposée à sa toute puissante autorité de SS. Sur ces souvenirs et considérations nostalgiques d'un temps pour lui béni, il releva son buste de fier serviteur de son Führer et se dirigea vers la commode de son salon. Il en ouvrit la porte et extirpa une bouteille de schnaps. D’un seul coup, il en avala quatre belles rasades et déposa le flacon sur le petit meuble. Puis, d’un pas lent, il traversa la pièce jusqu'à l'escalier menant à l’étage supérieur. L'escaladant péniblement, il pénétra alors dans le petit débarras lui servant également de penderie. Dans l'armoire occupant la pièce, il retira une grande fourre noire. Lentement, il en fit descendre la fermeture éclair et extirpa son bel uniforme de SS-Obersturmführer. Les bottes et la casquette, soigneusement enveloppées, étaient rangées dans le même meuble, de même que le pistolet Walther ayant servi à commettre la plupart de ses crimes. Puis, avec tout cet attirail, il redescendit dans la salle de bains. Là, il se déshabilla et prit une douche brûlante. Après quoi, il absorba deux nouvelles gorgées de schnaps, puis il commença à revêtir son uniforme, dont l'un des insignes de col exhibait les mêmes S runiques qu'il portait désormais gravés dans la peau. Cinq minutes plus tard, impeccablement sapé, avec chemise, cravate, ainsi que pistolet dans son étui et fixé à la ceinture, il prit les clefs de sa voiture et descendit à la cave. Dans celle-ci, il ramassa deux jerrycans de 20 litres et alla les déposer dans le coffre de l'auto. Ensuite, il s’installa au volant, extirpa le Walther de son étui, prit le chargeur qui se trouvait dans sa poche et l’introduisit dans la crosse du pistolet. Il regarda alors l’heure à sa montre. Il était 21 heures 05. Il déposa l’arme sur le siège du passager, mit en marche le moteur de sa belle BMW et s’engagea dans la descente rejoignant la route principale.
     Bien que glaciale, la nuit était claire et le ciel agrémenté d'un croissant de lune éclatant. A 21 heures 10, Kenetz stoppa le coupé rouge dans la cour de sa scierie. Sans se presser, l'ancien SS en descendit et alla ouvrir le coffre. Muni des deux jerrycans, il se rendit dans le petit local abritant la chaufferie du bâtiment. Dans une petite citerne, il puisa les quarante litres d’essence nécessaires à remplir ses bidons. Quinze minutes plus tard et les mains vides, il regagnait sa voiture d'un pas leste. Au volant, et sans plus attendre, il recula d’une trentaine de mètres et prit une minute pour vérifier que le feu avait bien pris dans la scierie. Semblant satisfait, il s’apprêta à repartir, mais avant cela, il se mira une dernière fois dans le rétroviseur interne de son auto. Grâce aux flammes éclairant maintenant son visage, il distinguait clairement les deux S sur ses joues. Il fit glisser ses doigts sur ces deux lettres symbolisant toute sa vie, puis il se saisit du P38 et l’arma rageusement. Alors, il enclencha la première et partit à toute vitesse vers l’ouest du village.
     

    Roulant en direction de Bludenz, il passa les dernières habitations de Dalaas à vive allure. Devant lui, après une courte ligne droite lui permettant d’accélérer davantage encore, il se saisit du pistolet et appliqua le bout du canon contre sa tempe. Puis, à l’entrée d’un virage à droite, et à une vitesse qui ne lui aurait pas permis de négocier ce tournant, le SS appuya sur la détente de son arme. La voiture fila tout droit. Moteur hurlant, à 140 à l’heure, elle quitta subitement la chaussée et plongea vers le fond du petit talus qui la bordait. Son pare-chocs vint s’encastrer à l’endroit précis où le tronc d’un immense sapin quittait la terre pour rejoindre le ciel. Pour autant qu'il en possédât une, difficile de dire si l'âme de Kenetz entreprit le même voyage. Ce qui est sûr, c’est qu'emporté par la vitesse, le coupé se dressa à la verticale et que son toit vint s'aplatir avec une violence inouïe contre le tronc du conifère, dont les cinq ou six premiers mètres étaient dénués de toute branche. Si la balle du Walther, hypothèse toujours possible, n’avait pas tué le SS, il eut les vertèbres cervicales brisées nettes par le choc, le hard-top de la BMW s’étant retrouvé en une fraction de seconde à la hauteur du dossier de ses sièges. A 21 heures 30, en ce 22 novembre 1963, le SS-Obersturmführer Johann Kenetz, âgé de 46 ans et demi, venait de mettre définitivement à jour les comptes relatifs à sa misérable vie…

 

 


Chapitre 39


     

     Une demi-heure plus tard, et ignorant bien sûr tout du drame qui venait de se jouer à Dalaas, Ania et Charles passaient sans encombres la frontière suisse. Encore une heure de route et ils seraient bien au chaud dans leur hôtel de Saint-Gall. Encore tout imprégnés de cette mémorable soirée, les deux jeunes gens ne parlaient pas. Si Charles se sentait libéré d’un poids énorme, Ania ressentait une sorte de soulagement plutôt agréable. Elle n’avait pas tué Kenetz. Même si l'idée lui avait effleuré l'esprit, elle n’en aurait jamais été capable. Et il ne fut jamais question que son ami se charge de cette exécution à sa place. Alors elle avait fait ce qu’elle jugeait de mieux pour réparer la perte douloureuse de tant d’êtres chers, tous enlevés sauvagement à son affection par le SS et ses complices nazis. Désormais, elle en était certaine, elle se sentirait déchargée d’un immense fardeau, lequel avait trop longtemps pesé sur un cœur devenu soudain plus léger. Quant à Charles, il s'estimait chanceux d’être aimé par une femme aussi admirable et déterminée. Cette opération qui venait de se terminer, c’est elle qui l’avait entièrement imaginée. Et il se sentait extrêmement fier qu’elle n’ait pas décidé de supprimer ce misérable SS, refusant par-là d'utiliser une méthode que celui-ci avait fait sienne tout au long de sa carrière dans la Schutzstaffel. Ania, elle aussi se sentait fière. Fière d’avoir accompli cet acte grâce à un garçon qui lui était fidèle depuis vingt ans et auquel, elle le savait déjà, elle dirait oui lorsqu’il viendrait lui poser une certaine question concernant le futur de leur vie commune.
     En arrivant à l’hôtel, les deux jeunes gens demeurèrent quelques instants dans la voiture. Ania remit de l’ordre dans ses cheveux, après qu’elle eut retiré sa perruque. Charles en avait fait de même avec sa fausse moustache. Songeant à la soirée hallucinante qu'il venait de passer, le jeune homme regardait le visage de son amie, auquel les lumières de l’hôtel donnaient un éclat particulier. Et, en cet instant précis, il la trouva belle comme jamais. La jeune femme passa tendrement son bras autour de son cou et, se serrant très fort contre lui, elle l’embrassa longuement. Puis, émue et les larmes au bord de ses beaux yeux bleus, elle le regarda fixement et lui glissa doucement :
   - S’il te plaît, promets-moi désormais de ne plus jamais m’appeler autrement qu’Agnieszka…
Et Charles promit.

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