ANIA - Une enfance brisée
Roman (Texte intégral)
Dernière mise à jour : Totalité du texte, 9 septembre 2024 (81ème anniversaire de la mort de l'héroïne)
Chapitre 22
Dans le KL Lublin-Majdanek, dès le lundi 31 octobre 1943 et pendant trois jours, débarquèrent un nombre impressionnant d’hommes en armes. SS, agents de l’Orpo et de la Schupo envoyés de diverses villes polonaises, prirent position dans le camp. De celui d’Auschwitz-Birkenau, un Sonderkommando[1] fut même spécialement détaché ici. A sa tête figuraient Otto Moll et Franz Hössler, deux des pires brutes que la SS ait jamais recrutées. A proximité du nouveau crématoire et près de l’entrée du camp, on installa deux véhicules radio équipés de puissants haut-parleurs. Le 3 novembre, dès cinq heures du matin, toutes ces troupes se déployèrent sur la surface entière du camp. Le long des fosses creusées les jours précédents, prirent rapidement position plusieurs hommes équipés d'armes automatiques. Moins de deux heures plus tard, les véhicules commencèrent à diffuser de la musique, des marches, des airs folkloriques allemands, voire même de la musique classique. Alors débuta ce qui demeure à ce jour l’un des plus ignobles massacres de toute l’histoire de l’humanité.
Tout commença dans le champ V. Bizarrement, ce matin-là, il n’y avait pas eu d’appel. Sur le visage des prisonnières, et plus encore sur celui des enfants, pouvait lire comme une indicible peur. Personne n’imaginait vraiment ce qui allait se passer, mais tout le monde "savait" que ce serait grave. Quand Marie vit la silhouette de l’Obersturmführer Kenetz se profiler dans la légère brume recouvrant le camp, son cœur se mit à battre très, très fort. Calmement, le SS ordonna à Marie de le suivre. Terrorisée, la jeune femme obéit. La "balade" les mena jusqu’au bas du camp. Là, l’officier fit entrer Marie dans une petite cahute attenante au bâtiment des douches. Ce local était équipé d’une table et d’une chaise. Sur une assiette, deux tranches de pain, de la margarine et un peu de confiture avaient été préparés. Le lieutenant SS fit asseoir Marie et l’invita à manger, s’excusant de ne pouvoir mettre du café à sa disposition. Extrêmement anxieuse, Marie ne bougea pas. L’homme lui dit alors qu’elle devrait rester là toute la journée. Après l’avoir longuement observée de son regard dément, il tourna alors les talons et quitta le local en fermant à clé la porte derrière lui. Marie, tout au long de ces minutes interminables, n’avait pas prononcé un seul mot. Elle demeura encore un bon moment sans bouger, craignant que l’assassin SS ne revienne sur ses pas. Impossible pour elle de comprendre ce qui était en train de se passer et quel sort lui était réservé. S’étant extraite de sa perplexité, elle toucha le pain du bout de ses doigts. Il n’était pas du jour mais de bien meilleure qualité que celui qu’elle et les autres prisonniers ingurgitaient quotidiennement. Aucun couteau n’ayant été mis à sa disposition, du bout des doigts elle étala la margarine molle et une épaisse couche de confiture sur la première tranche de pain, puis elle mordit dans la tartine à pleines dents. Depuis son départ du camp de Gurs, c’était sans nul doute ce qu’elle avait mangé de meilleur.
Dans le champ V, les événements se précipitaient. Par groupes de trente, les femmes furent emmenées dans une baraque inoccupée. A cet endroit, les Aufseherinnen leur ordonnèrent de se dévêtir entièrement, frappant avec vigueur celles qui ne s’exécutaient pas assez rapidement. Dans les barbelés séparant le champ V des fosses, le lieutenant Thumann, responsable du camp des prisonniers, avait pratiqué une ouverture haute de deux mètres et large de cinq. Ceci pour que les détenues puissent se rendre rapidement aux abords de ces grandes saignées dans le sol que la nuit dissimulait encore partiellement à leur regard. Comprirent-elles ce qui leur arrivait ? Il faut espérer que non. Elles étaient les premières. Pour tous les autres détenus, hommes, femmes et enfants, l’incertitude irait en décroissant. Tremblantes de peur plus encore que de froid, et réparties le long de la première fosse, les cent premières femmes furent ainsi forcées de descendre et de s’allonger au fond de celle-ci. Dès que ce fut fait, les hommes armés s’approchèrent et commencèrent à tirer sur elles. A côté du crématoire tout proche, ainsi qu’au bas du camp, le volume des haut-parleurs diffusant la musique fut dès lors très sensiblement augmenté. Et la tuerie continua. Et les femmes, les enfants, puis les hommes, se couchèrent sur les cadavres criblés de balles. Et les mitraillettes crépitèrent. Encore et encore. Ceux qui refusaient de descendre dans les fosses furent abattus au bord de celles-ci, pour le même résultat. Toutes les heures ou presque, les tireurs furent relevés et remplacés par d’autres. A Lublin même, le château, transformé en prison, le camp de travail de la rue Lipowa, ainsi que celui de la Flugplatz, avaient été vidés de leurs prisonniers juifs, lesquels furent emmenés dans le camp afin d'y subir le même sort. Le massacre se prolongea jusqu’au soir et les fosses furent remplies jusqu’à ras-bord. Ainsi, les dix-huit mille derniers Juifs du camp de Lublin-Majdanek et de ses proches dépendances, furent-ils exterminés en l’espace d’une douzaine d’heures seulement. Une opération rapide et parfaitement organisée que les nazis avaient, de leur traditionnelle "délicatesse", baptisée "Erntefest" (Fête de la moisson).
Dans son cagibi situé au bas du camp, Marie avait passé la journée entière sans parvenir à savoir ce qui se passait au-dehors. Malgré la distance qui la séparait du lieu du massacre et la musique couvrant assez bien le crépitement des armes automatiques, elle avait néanmoins parfaitement entendu les bruits de la fusillade. Le local lui servant de cellule était dépourvu de fenêtre et elle ne vit donc rien de la tuerie qui était en train de se produire. Image irréelle et hallucinante d'une future mère, cravache en main et dégoulinante de bestialité, la Pfannstiel, enceinte jusqu’au menton, était passée en milieu de journée pour lui servir une soupe, aussi mauvaise que d’habitude, et pour la mener aux latrines situées derrière le bâtiment des douches. Mais même à cette occasion, Marie ne parvint pas à apprendre quoi que ce soit des événements qui étaient en train de se dérouler dans le camp. Cette incertitude, ajoutée à un comportement plus qu’inquiétant de Kenetz à son égard, avait mis la jeune femme extrêmement mal à l’aise. Quelque chose de grave, d’inhabituel, était en train de se produire et elle avait l'intuition qu'elle-même ne s'en sortirait pas sans mal. Mais de quoi s'agissait-il ? Sur le coup de 18 heures 30, elle commença à y voir plus clair.
Ayant terminé de superviser le massacre des Juifs, Kenetz avait regagné le bas du camp. Il était satisfait de sa journée : sa contribution à l’extermination aussi rapide de ces milliers d’êtres humains, que lui et les siens considéraient comme des rats, allait peut-être lui valoir quelques lauriers. Cette idée le rendit de très bonne humeur. Le sentiment du devoir accompli avait pour effet de le rendre hautain et méprisant ; de remplir la brute primaire qu’il était d’une sensation grisante d’invincibilité dans le combat qu’il menait depuis son accession à la Schutzstaffel. Et ce Kenetz-là était bien la pire chose à laquelle Marie eût à faire face... Avec la mine du vainqueur et ses yeux de bête, le lieutenant SS fit irruption dans le local de la jeune femme. Marie se dit qu'il avait bu. Ce qui était exact, mais plus encore qu’elle ne le pensait. Sur les deux manches et le bas de sa veste d’uniforme, des taches de sang séché étaient clairement visibles. L’infirmière les remarqua. De sa main qui ne tremblait jamais lorsqu’il lui fallait appuyer sur la gâchette de son Walther P38, il avait achevé lui-même une bonne centaine, sinon plus, de ces "chiens et chiennes de Juifs", contribution personnelle et glorieuse à l’épuration future de sa race. Pas la première ! Et sans doute pas la dernière, espérait-il.
Le SS s’approcha de Marie. Une Juive, d'accord, mais une femme superbe, pensa-t-il ; et sur laquelle il avait droit de vie et de mort. Très vite l’infirmière sut qu’elle ne sortirait pas vivante des griffes que cette ordure allait refermer sur elle. Après un viol qu'elle lui refusa tant qu'elle fut consciente, ce fut pour Marie le début d’un court calvaire. Kenetz, hors de lui, les joues et le nez en sang, traîna la jeune femme inconsciente hors de la cabane, la tirant par un bras. Conséquence de la résistance de Marie, la rage avait décuplé son ardeur. L’infirmière s’était défendue jusqu'à la limite de ses forces ; et jusqu'à ce que le SS ne finisse par l'assommer d’un violent coup de crosse de son pistolet. Telle la hyène emportant sa proie, il traversa un "Rosengarten" désert et sur lequel aucun Juif ne serait jamais plus sélectionné. Puis il poursuivit sa progression rageuse jusqu’à la clôture externe du camp, distante de moins de cinquante mètres. Là, il redressa Marie, toujours inconsciente, et la projeta violement contre les barbelés électrifiés. Les six mille volts courant dans les fils de fer tuèrent instantanément la jeune femme. Haletant et essuyant d’un revers de la main sa joue qui saignait beaucoup, le SS extirpa alors le P38 de son étui, engagea une balle dans le canon, recula de trois mètres et, visant la nuque de la malheureuse qui, accrochée à la clôture, était demeurée agenouillée, il appuya sur la détente. Dans le camp, après une telle journée de carnage, nul ne sembla prêter attention à ce coup de feu supplémentaire.
Il était un peu plus de 19 heures, au soir de ce 3 novembre 1943. La brume était retombée sur le camp de Lublin. Le froid et les ténèbres aussi. Dans un ciel soudain parcouru de silence, point de lune visible. Pas le moindre de ses rayons, d’un dernier trait de lumière, ne vint caresser le visage encore effrayé de cette belle jeune femme à l'âme si pure. Aimée de tous ceux qui avaient pris le temps de la connaître, Marie n’avait que vingt-deux ans. Ayant de tous temps désiré mettre sa vie au service de l’autre, elle avait péri dans des conditions horribles, effroyables et inhumaines. Sexuellement agressée, elle avait payé de sa vie la résistance à son agresseur. Odieusement assassinée, elle n’avait pas survécu à une guerre qui l’avait toujours vue, mais pour si peu de temps, privilégier la vie et l'amour au détriment des pauvres valeurs de son misérable meurtrier. Toute occupée à résister à ses ardeurs, a-t-elle seulement eu le temps de penser à ses parents, à sa grand-maman, à la petite Ania qu'elle espérait bien retrouver avant longtemps ? Sans aucun doute ! Mais cette journée-là fut celle de la honte, de l’indécence, du renoncement de Dieu ; celle du triomphe de son assassin et de ses complices l'ayant passée à tuer ; celle de la victoire insupportable du mal sur le bien.
A la fin de 1943, l'hégémonie nazie n'était plus qu'un souvenir allant en s'éloignant. L'Armée Rouge, dans une irrésistible contre-offensive libératrice, était aux portes de la Pologne, écrasant des troupes allemandes n'ayant même plus la force de battre en retraite de façon organisée. Lublin allait devenir la première grande ville du pays à être libérée. Et le camp de concentration et d'extermination de Majdanek, lui aussi. Mais Marie ne le verrait pas. Elle n'assisterait pas non plus à la fin du IIIème Reich, du nazisme et de la SS, n’apprendrait pas la juste mort de Hitler et de son larbin Himmler, initiateurs barbares de la "Solution finale de la question juive" ; ni même celle de l'un de ses exécutants les plus zélés, l'Obersturmführer Johann Kenetz… Suprême et insupportable affront ! Mais d'autres, c’est certain, vivraient et célébreraient tout cela. Et qui sait si, un jour, l’un d’entre eux ne se chargerait-il pas de rendre justice à Halina et Andrzej Rempa, ainsi qu’à Zygmunt, Sara et Marie Meyer…
[1] Les Sonderkommandos (commandos spéciaux) avaient pour tâche de procéder à la crémation des victimes des chambres à gaz. Constitués de prisonniers juifs, après qu’ils aient aidé les déportés à se déshabiller avant d’entrer dans la chambre à gaz, ils devaient ensuite extraire les cadavres des chambres, tondre leurs cheveux et récupérer sur eux les divers objets de valeur, notamment leurs dents en or. Après quoi, ils transportaient les dépouilles dans les crématoires et les introduisaient dans les fours d’incinération. Les membres de ces commandos, utilisés en grand nombre à Birkenau, étaient désignés par les SS, logés à l’écart des autres détenus et régulièrement exterminés à leur tour, pour être remplacés par des prisonniers fraîchement internés.​
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Chapitre 23
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Le lendemain, le massacre des Juifs se poursuivit. Mais ailleurs que dans le camp de Lublin. Dans ce dernier, seules trois cents femmes avaient été laissées en vie. Un simple sursis pour elles qui se virent contraintes, pendant les jours suivants, de trier toutes les affaires de leurs compagnes et compagnons de détention assassinés le jour précédent. Après quoi, elles furent gazées et passèrent entre les mains d’Erich Mühsfeldt, tout fier d'opérer dans son nouveau crématoire. Le sous-officier, très rapidement et en compagnie de trois cents prisonniers russes, dut s'atteler à incinérer les dix-huit mille corps du massacre de l'Erntefest. Plus vaste que l'ancien crématoire, le nouveau disposait cependant d'une capacité relativement réduite d'incinération (cinq fours à deux soufflets). Il fut alors décidé de brûler tous les corps dans les fosses elles-mêmes. Pour ce faire et au fond de celles-ci, Mühsfeldt fit construire des bûchers constitués de rails et traverses de chemin de fer. Ainsi plusieurs dizaines de corps purent être incinérés simultanément dans chaque fosse. Mais ce travail nécessita tout de même plus d'un mois et demi d'efforts aux esclaves russes de l’Oberscharführer.
En date du 4 novembre 1943 donc, ce fut alors au tour des prisonniers hébergés à même les camps de travail situés à l’extérieur de la ville d'être exterminés. Ces actions furent menées principalement dans les camps de Poniatowa et de Trawniki, situés non-loin de Lublin. Au total, 24'000 Juifs de plus perdirent la vie ce jour-là. Ainsi donc, en l’espace de trente-six heures à peine, 42'000 personnes furent assassinées dans Lublin et ses environs, ceci sur ordre spécial du Reichsführer Himmler. Jakob Sporrenberg pouvait ainsi fêter la plus "brillante" action de sa carrière, même si l'organisation et la supervision du massacre avaient été l'œuvre des Sturmbannführer Hermann Höfle et Christian Wirth, ce dernier étant l'inspecteur général des camps de l'Aktion Reinhardt. Cette tuerie, l’une des plus massives et rapides de toute la seconde guerre mondiale, fut l'une des dernières à se produire dans l’action génocidaire entreprise contre le peuple juif. A Bełżec, Sobibór et Treblinka, la mise à mort des Juifs était déjà accomplie ou en train de se terminer. Au total, dans ces trois camps, ils furent au minimum 1'600'000 à avoir perdu la vie. Auxquels on peut ajouter les 58'000 autres ayant succombé à Majdanek[1].
Pour son misérable forfait, Johann Kenetz ne fut naturellement pas inquiété. Le soir même, il avait fait transporter le corps de Marie jusqu’au crématoire. A l’un ou l’autre de ses collègues qui, le lendemain, lui avait demandé ce qui s'était passé, il avait simplement répondu que la jeune fille ayant tenté de s'enfuir, il l'avait abattue au moment où elle atteignait la clôture électrifiée du camp. Quant à son propre visage portant encore les traces des ongles de Marie, il prétendit qu’il avait eu affaire à un prisonnier fort récalcitrant lors de la tuerie du 3 novembre. Affaire classée, car péripétie sans intérêt pour des "Totenköpfe" qui, à longueur de journée, en commettaient bien d'autres dans leurs basses besognes. La nouvelle du massacre du 3 novembre parvint assez rapidement aux oreilles du docteur Grabowski. Si personne à l’extérieur du camp ne savait vraiment ce qui s’était passé, les fusillades incessantes de cette journée, la diffusion sans interruption de musique, manifestement destinée à masquer le bruit des armes automatiques, en avaient alarmé plus d’un. Contrairement aux trois camps de l'Aktion Reinhardt, celui de Majdanek était presque intégré à une grande ville de Pologne. Il était donc bien plus difficile pour les nazis de garder intra-muros les crimes qu'ils perpétraient à longueur de journées dans le camp. Et le médecin polonais commença à éprouver les plus vives inquiétudes quant au sort de Marie, lorsque la Croix-Rouge de Lublin demanda à pouvoir effectuer une nouvelle visite du camp, laquelle lui fut refusée. L’Obersturmbannführer Martin Gottfried Weiss, successeur de Florstedt, avait donc pris ses fonctions le 4 novembre. Et il avait reçu des ordres quant à la discrétion qu’il convenait d’observer sur ces mystérieuses fusillades du jour précédent. Par contre, à cette époque, un réseau de partisans et patriotes polonais commençait sérieusement à voir grossir les rangs de ses militants. Par des contacts avec les prisonniers demeurant dans le camp, ils parvinrent à apprendre ce qui s’était réellement passé en ce 3 novembre. C’est ainsi que le docteur Grabowski, partisan discret (fonction oblige) de l’organisation, fut mis au courant de ce qui était arrivé aux prisonniers juifs de Majdanek. Effaré, le médecin garda néanmoins un infime espoir quant à la survie de Marie, dont le travail était très apprécié dans l’hôpital du champ V. Hélas, des informations de plus en plus précises lui apprirent que, sans exception connue, tous les Juifs détenus dans le camp avaient bien été exterminés ce jour-là.
Contre toute attente, cette terrible nouvelle lui fut confirmée quelques jours plus tard par son confrère, le docteur SS Oskar Müller, lequel prit à cette occasion l’un des plus gros risque de sa carrière au sein de la Schutzstaffel. Lui-même, comme les autres médecins, n’avait pas participé à la tuerie, mais il avait néanmoins appris ce qu’il était advenu de Marie. Et il n’avait pas cru un seul instant au récit officiel de son assassin. Pour Müller, Kenetz n’avait pas abattu Marie parce qu’elle tentait de s’enfuir, la jeune infirmière sachant pertinemment que cela lui serait impossible. Le médecin connaissant bien Kenetz, il ne subsistait pas le moindre doute dans son esprit : Marie avait bel et bien été assassinée par le lieutenant SS. Et les griffures, encore très visibles sur son visage le lendemain, en étaient bien la preuve.
Très affecté par cette nouvelle, le docteur Grabowski dut, dès lors, faire face à un terrible cas de conscience. Que devait-il faire de cette révélation ? Il possédait l’adresse des parents de Marie. Eux qui vivaient dans l’attente d’accueillir la petite Ania, devaient-ils être mis au courant ? L’épouse du médecin polonais, sa famille, ses confrères lui conseillèrent de s’abstenir pour le moment. Il devait attendre. Pour Marie, il n’y avait plus rien à faire. Mais concernant Ania, il fallait absolument qu’elle ait le temps de reprendre goût à la vie au sein de sa nouvelle famille. Prévenir ses futurs parents adoptifs aurait eu sur eux et sur la petite des répercussions très négatives, peut-être synonymes d’un échec qu’il fallait éviter à tout prix. Zbigniew Grabowski décida donc que, pour l’instant, il garderait pour lui le fait que Marie n’était plus de ce monde et que son assassin était Johann Kenetz, celui-là même qui, huit mois plus tôt, avait supprimé les parents d’Ania Rempa…
[1] A ce nombre concernant le camp de Lublin, il convient d'ajouter l'exécution ou la mort par épuisement, maltraitance, maladie ou de sous-nutrition, de 22'000 autres prisonniers non juifs.