DESTINS D'ENFANTS
Histoires tragiques de celles et ceux qui représentent notre bien le plus précieux
Dernières mises à jour : Home, le 8 décembre - Page Perso, le 3 décembre - Pages 1 et 8, le 19 novembre 2025
Quatre jours hors du temps
27 novembre. J'arrive à Ornago, après 5 heures de route depuis mon domicile. Dans ce village de Lombardie, situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Milan, sur 4 jours se tient un Concours hippique international. Ma fille cadette et son mari y participent. Et bien sûr M. leur fille de 18 mois est du voyage. Ma tâche : m'occuper d'elle au cours de journées très exigeantes pour les cavalier(ères)s, avec jusqu'à 4 épreuves quotidiennes auxquelles il et elle participent. Ajoutés à cela, les soins aux chevaux, qui prennent encore plus de temps. Arrivée la veille avec ses parents, M. est dans le manège principal et, entourée par tout le reste du staff engagé dans l'expédition, elle "assiste" à une épreuve disputée par sa maman. Tout de suite elle me reconnait et, comme c'est devenu la coutume depuis quelques temps, sourire au coin des yeux, elle claque la langue dans son palais. C'est notre signe de ralliement. En petite forme physique, je fais de même et immédiatement je me sens ragaillardi par cette vision dont je ne saurais me lasser, ni me passer. Elle me tend les bras, je la prends dans les miens, la serre contre moi et l'embrasse tendrement. Sur ma joue couverte d'une barbe très courte, elle dépose ce bisou qui met un terme (temporaire) à mon mal-être physique.
Le soleil est au rendez-vous, et les trois jours suivants, avec elle durant toute la journée, vont se dérouler comme dans un rêve. Loin de cette télé aux programmes hallucinants de bêtise, privé de ces infos ne parlant que de Gaza et de l'Ukraine, de Poutine, de Netanyahou et de Trump au niveau international, je revis. Non, le mot n'est pas surévalué. Je joue avec elle, la promène dans sa poussette, lui donne la main lorsqu'elle marche à mes côtés, la prends sur moi et la réconforte lorsque divers petits pépins la contrarient. Dans ces moments-là, suçant son pouce et sa têtes appuyée contre mon épaule, je bois du petit-lait. Elle a l'air si bien, et je voudrais que ce moment-là ne s'arrête jamais…
M. et sa cousine L. sont les deux moteurs d'une carcasse qui avance encore (mais péniblement) dans la noirceur d'une époque que je ne comprends plus. Péniblement, mais elle avance. Son carburant, c'est le sourire de mes deux puces, de mes petites-filles, les deux plus beaux cadeaux de mes 30 dernières années de vie. Sans elles, je ne crains pas de l'affirmer, j'aurais sans doute déjà rendu visite à Exit. Parce que les douleurs physiques, toutes consécutives à une polio vieille de 68 ans, ne trouvent plus grâce auprès de tous les médecins consultés. Pour moi, et même si je ne vis pas en milieu hospitalier, j'en suis réduit à une sorte de soins palliatifs. C'est ainsi, et L. & M. m'apportent le courage de ne pas sombrer. Lorsque je suis auprès d'elles, rien ne peut m'arriver, et je dévore la vie (enfin, ces moment-là…) à pleines dents. Merci à elles. Du fond du cœur, et merci à leurs parents qui n'ont peut-être pas idée du bien-être qu'ils me procurent ainsi.
3 décembre 2025 _____________________________________________

Mon "coming-out" (mais pas celui que vous croyez)
Le 12 septembre 2023, rentrant d'un séjour en Pologne, destiné à marquer le 80ème anniversaire d'Ania, l'héroïne de mon roman, sur mon autoradio je prends connaissance des résultats d'une enquête menée par l'université de Zürich concernant les abus sexuels de l'Eglise catholique (principalement sur des enfants) commis de 1950 à 2022. 1'001 cas sont ainsi répertoriés, tous à la connaissance du clergé, qui ne les a bien entendu jamais rendus publics. Cette nouvelle m'inspire deux sentiments : super que ces choses-là éclatent au grand jour, mais j'estime le nombre ridiculement bas. Une pointe d'un iceberg au moins dix ou vingt fois plus volumineux dans la réalité. Dès lors, des appels dans la presse sont lancés en direction de celles et ceux qui ont subi ce genre de persécution, de traumatisme impossible à oublier. En Suisse romande, la CECAR (Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation), créé il y a cinq ans, se met à la disposition des abusé(e)s, en les encourageant à témoigner. Ce que, après une longue réflexion, j'ai consenti à faire, d'abord au moyen d'un courrier, il y a une vingtaine de jours. Puis, le 18 décembre, j'ai été reçu par deux personnes de la CECAR, une psychologue et un avocat, pour un entretien dans leurs locaux de Pully, et une écoute de leur part concernant mes attentes, à la suite de l'abus dont j'ai été victime, dans la sacristie de l'église catholique de mon village natal, Courchavon (JU), il y a maintenant 60 ans. Des abus commis non pas par le prêtre en charge de la paroisse (absolument correct), mais par celui qui assurait l'intérim durant ses vacances.
Donc, hier 22 décembre 2023, durant une heure, je me suis livré oralement à ces révélations que j'avais, pour la seule et unique fois et par le même moyen, faites à mes parents il y a une vingtaine d'années. Exercice extrêmement pénible, car rien de ce que j'ai subi n'a été effacé de ma mémoire. L'écoute et l'aide (aux moments les plus pénibles) de mes interlocuteur(trice) a été remarquable. Mais même avec cela, au bout de 60 minutes, j'étais exténué, comme jamais je ne l'aurais imaginé. La tension, ravivée par l'effort douloureux de me replonger dans cette semaine de l'été 1963, où un curé abusait de la crédulité du gosse de 9 ans que j'étais, m'a donc fortement secoué. Mais je ne regrette rien. Parce qu'il fallait que je le fasse. Comme tous ceux et toutes celles qui ont subi ce traumatisme devraient le faire. La prescription de tels actes est une infamie très largement répandue dans le monde, elle est absolument injuste et la preuve que ceux qui n'ont jamais été touchés par ce phénomène ne peuvent estimer les ravages qu'il peut causer durant toute une vie : pas de prescription au souvenir dans ce domaine. Quant au droit canonique, censé se substituer au droit civil, nul ne peut être juge et partie dans quelque affaire que ce soit !
La suite à espérer pour ma part, et que j'ai demandée à la CECAR, consiste à rechercher l'auteur des faits et, le cas échéant, à tenter de savoir s'il était connu pour avoir agi de la sorte sur d'autres enfants. Mais hélas, mission hasardeuse ayant peu de chances d'aboutir, parce qu'aujourd'hui ce pervers doit être décédé, et ceux qui ont peut-être su le sont sans doute aussi...
23 décembre 2023
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Les démarches de la CECAR pour tenter de retrouver l'auteur de l'abus sexuel subi en 1963 ont donné les résultats suivants. Si aucun auteur possible n'a pu être trouvé, un cas similaire au mien a été porté à la connaissance de l'Eglise (Evêché de Bâle, dont la paroisse de Courchavon faisait partie) en 2020 : un homme agressé sexuellement à la même époque (alors qu'il était enfant) par un prêtre de la paroisse dont provenait sans doute celui qui, remplaçant l'abbé titulaire en congé, a commis le même genre de choses sur ma personne. Le présumé coupable, dont le nom est donc connu, est décédé en 2009. La suite du travail de la CECAR consiste à tenter de mettre la main sur une ou des photos de ce curé (ou d'autres si ce dernier n'est pas mon agresseur) me permettant de l'identifier, ou du moins de tenter de le faire, car même 60 ans plus tard, je garde un souvenir assez concret de sa physionomie.
Affaire encore à suivre et, d'ores et déjà, j'adresse un immense merci à la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation pour le remarquable travail accompli.
29 avril 2024
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Au début du mois d'août, la CECAR m'a communiqué une dizaine de photographies de curés pouvant me permettre d'identifier, ou du moins de tenter de le faire, le pédophile à soutane ayant commis l'attentat d'ordre sexuel sur ma personne, durant l'été 1963. Trois d'entre-elles m'ont interpellé, mais aucune ne représentait un curé susceptible d'être l'homme recherché. La photo de celui qui a été mis en cause en 2020 figurait dans la liste, mais elle ne correspond pas à ce que j'ai gardé en mémoire de la physionomie de mon agresseur. Peut-être parce qu'elle représentait un homme beaucoup plus âgé (sans doute ayant largement dépassé la soixantaine) alors qu'il avait 39 ans en 1963.
Pour moi l'enquête est terminée. Je me dois d'ajouter que le diocèse de Bâle m'a financièrement dédommagé, alors que je n'avais rien demandé. Alors pourquoi l'avoir fait ? N'importe qui peut dénoncer de tels faits, même certaines personnes qui n'ont rien subi et qui sont juste attirés par l'appât du gain. Alors je pense que le diocèse a trouvé ma plainte recevable parce que mon histoire est plausible. Et, pourquoi pas, peut-être qu'il la connaissait, ou était au courant de faits avérés au sein de la paroisse de laquelle provenait le prédateur ayant agi ainsi. C'est là la seule raison de me sentir légèrement, très légèrement réconforté. Merci encore une fois à la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation d'être à l'origine d'un dénouement que je n'espérais pas, plus de 60 ans après le traumatisme subi.
24 septembre 2024
Suite de l’article
Un nouveau courrier de la CECAR m’a été envoyé, lequel présente une photographie supplémentaire d’un prêtre ayant été en poste dans la paroisse dans les années soixante. Il est précisé qu’aucune accusation n’a été portée contre lui quant à la déviance qui m’occupe. Une notion importante est la date de prise des photos qui m’ont été présentées, qui ne figure sur aucune d’entre-elles. L’une ou l’autre montraient des hommes âgés, et donc impossible à identifier, puisque dans mon souvenir, mon agresseur devait avoir autour de 35 40 ans. Je pense donc que, pour moi, l’affaire est close, et que je ne connaitrai sans doute jamais le nom de mon agresseur qui, de toute façon, doit être mort depuis plusieurs années. C’est frustrant, mais peut-être que si j’avais parlé plus tôt…
12 octobre 2024
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Suite (et sans doute fin) de l’article
Un ultime courrier m'est parvenu il y a deux jours, lequel me présente deux nouvelles photographies de prêtres ayant officié dans la région de Courchavon. Une seule présente un homme morphologiquement proche de l'image du coupable que je garde en mémoire : la coiffure et le visage semblent correspondre. Mais aucune information ne permet d'affirmer que cet homme a un jour été présent dans la paroisse de mon village d'origine (il officiait au Collège Saint-Charles de Porrentruy).
Une fois encore, mille remerciements à la CECAR, pour son écoute et tout le travail qu'elle a entrepris.
27 mars 2025 ________________________________________________
